Ernest Pirotte (Pol Bury), “E pericoloso …” 1966
Tout est géographie à qui le veut et l’art, pour peu qu’on se mette à le voir au travers de verres tricolores, peut faire fonction d’équipe de football ou de cyclistes. Attachez un petit drapeau à la palette de vos artistes et vous pourrez les voir défiler avec les militaires, derrière les fanfares et les enfants des écoles. L’orgueil des nations se met là où il peut et il suffit de quelques cornemuses braillant à la gloire du peuple le plus intelligent de la terre pour que nous commencions à éternuer. Nations de Militaires, nations de philosophes, nations d’artistes, que sonne le clairon, et les voilà qui défilent en rangs, drapeaux en tête sous l’oeil ennuyé des officiels des tribunes. Alors, par où commencer pour situer un artiste? C’est pourtant bien facile de lui coller une nationalité: sitôt invoquée, toute lhistoire des arts de cette nation devient une bonne carte de visite; la paresse a des ailes lorsqu’elle veut se reposer. Me voilà déjà me coupant l’herbe sous mes propres pieds, situation cocasse lorsqu’on est seul à la contempler, mais combien ridicule lorsqu’un parterre de voyeurs est là à vous lorgner. Si donc Monsieur Ezio Gribaudo se contentait d’être un descendant de Jules César, en tant que Celte je me verrais dans l’obligation de ne pas lui serrer la main; les éléphants lorsqu’ils étaient encore des mammouths avaient la mémoire plus tenace encore. Mais depuis Jules César, beaucoup d’eau a coulé dans la Sambre et dans la Meuse, il y a eu Michel-Ange, Dante et d’autres. On a inventé la peinture à l’huile après la peinture à l’oeuf, il y eut aussi Gutenberg qui pourtant n’était pas Italien. Ici, on pourrait croire que jai pris un tournant afin de mieux retrouver mon sujet. Il y eut aussi l’assassinat du duc de Guise [avec une certaine désinvolture, je tourne maintenant le dos à mon sujet). Malgré toutes les précautions à tendances cosmopolites dont je me suis entouré, le lecteur a fini par comprendre que Monsieur Ezio Gribaudo est Italien, mais ça ne leur servira à rien, ni à lun ni à l’autre. Alors que faire? Me voila bien embarrassé. Parlons donc d’autre chose. Quest-ce que l’art? Là, je ne peux déjà plus répondre car avec les grands fourmillements cosmiques d’aujourdhui, I’art en a pris aussi par son grade; la pipe de Monsieur Magritte est redevenue une vraie pipe et qui se met à faire de la fumée si on y met du tabac et une allumette par dessus [et dans les hospices pour vieilles pipes on se réjouit). L’inventeur de la peinture à l’huile ny reconnaitrait plus sa botte de foin et. avec des larmes d’ancien combattant à la boutonnière, je pourrais regretter la vieille peinture (Botticelli ce nétait pas si mal). Mais utilisons des images. Sous le soleil d’ltalie, les lagunes, les vésuves et les fiasco ne suffisent plus à faire de bons sujets, de fidèles et loyaux sujets. Là comme ailleurs (pourquoi pas?), on a des fourmis dans les jambes. Les cubistes avaient déjà essayé de montrer l’envers des choses, maintenant on montre l’endroit. L’endroit vaut-il l’envers ? Ce sont là secrets d’alcôves qui ne concernent que les intéressés. Buster Keaton et les autres s’étaient déjà servis de flans à la crème, Monsieur Gribaudo, lui, utilise des flans d’imprimerie, il est dans la tradition, et on y voit ce qui aurait du nous frapper chaque matin en lisant notre journal: ce qui se passe entre les lignes.
Ernest Pirotte (Pol Bury), “E pericoloso …” dans Ezio Gribaudo, Paris, Galerie Jean Larcade, 1966.